Écrivaine, conférencière et entrepreneure
Dans le petit restaurant vietnamien Pho Viet de Montréal, Kim avait déjà entrepris une conversation animée avec les propriétaires de l’établissement, ses amies d’enfance Mai et Lan, avant de commencer notre entrevue. Ceux et celles qui ont écouté l’auteure dans les différentes plateformes médias peuvent témoigner de la personnalité pétillante et de la joie de vivre de l’écrivaine ! C’est une évidence ! Elle arbore des vêtements aux tons de rouge et de rose, soit le reflet de l’énergie qu’elle déploie dans les multiples projets qu’elle réalise simultanément. D’une curiosité singulière, celle qui croit au dépassement de soi affirme avec un excès d’humilité, « Je n’ai jamais pensé avoir toutes les habiletés pour être écrivaine ».
La grande créatrice née en septembre 1968 à Ho-Chi-Minh-ville, métropole du Vietnam, s’est liée à la langue française à l’âge de dix ans, au moment où elle, ses parents et ses deux frères, étaient accueillis dans la petite ville de Granby. « Je suis tombé en amour avec les gens qui nous ont accueillies. Je me souviens de la nourriture et des cadeaux offerts, mais avant tout, j’ai un vif souvenir d’un sentiment de chaleur humaine ». Après un voyage dangereux à bord d’un bateau de pêche à la dérive dans la mer de Chine méridionale, suivi d’un séjour forcé de cinq mois dans un camp de réfugiés en Malaisie, la famille Thúy, comme des milliers de boat people, était accueillie par des gens soucieux de leur bien-être. « Imaginez, après des mois de privation de nourriture, une ration d’un litre d’eau par jour, les poux et la gale, aucun d’entre nous n’était attrayant ! Cet accueil à Granby, au Québec, a donné une direction à notre existence. Le Canada m’a redonné la vie avec une multitude de possibilités ».
Ce long voyage migratoire et la vie au Canada sont justement le récit de l’ouvrage marquant de l’écrivaine : Ru (Libres expressions, 2009), traduit en 28 langues. L’auteure établit un parallèle entre cette aventure incroyable de résilience et la remarquable capacité d’adaptation de l’espèce humaine. « Pendant des jours, sur la mer comme au camp, notre journée était passée à collecter de la nourriture et trouver de l’eau ». Cette capacité de survie s’est exprimée autrement lorsque son père et sa mère ont eu à nourrir la famille après leur arrivée au Québec, le 27 mars 1979. Le père, auparavant professeur de philosophie et député de l’opposition au Vietnam, a pris tous les boulots possibles. « Il a été concierge, livreur de pizza, employé de restaurant, travailleur d’usine, alors que ma mère était femme de ménage et couturière ! Par sa détermination, le père a finalement pu occuper un emploi de technicien en aéronautique à l’entreprise Pratt-Whitney Canada de Longueuil pendant plus de vingt ans. Cette détermination et le sens de l’engagement sont également des traits de l’auteure, qui par la parution de ses neuf livres a vendu plus de 850 000 copies, distribuées partout dans le monde. Elle a reçu de nombreux prix et distinctions dont le prix littéraire du Gouverneur général en 2010, le prix canadien Giller en 2012 et la reconnaissance de chevalière de l’Ordre national du Québec en 2015.
Comme en témoignent les entrevues qu’elle donne dans les médias nationaux et internationaux, l’auteure diplômée de traduction (1990) et de droit (1992) de l’Université de Montréal, expose une attitude de sincérité et d’humilité. Passionnée par ce qu’elle fait, sa carrière d’écrivaine s’est cristallisée par la parution de son premier best-seller en 2009. « L’écriture, alors une forme d’évasion et de ressourcement était présente dans ma vie bien avant mes engagements d’édition ». Son enthousiasme à maîtrise l’art de raconter s’est d’abord exprimé de façon bien modeste. « J’écrivais partout, dans l’auto, dans la cuisine, sur des bouts de papier ». Sa vision positive et amusante de la vie citoyenne et des défis humains est accompagnée par une énergie personnelle peu ordinaire. « Alors que les enfants étaient couchés, je pouvais écrire jusqu’à tard dans la nuit ». Ce sont les mots de celle qui dort peu, quatre heures par nuit, dit-elle !
L’esprit d’aventure, la rigueur intellectuelle et la création ont marqué les premières années de ses engagements professionnelles. Kim a été avocate au cabinet de Stikeman-Elliott à Hanoi jusqu’en 1998, agente au consulat canadien à Saigon pendant un an et enfin propriétaire et chef du restaurant Ru de Nam dans l’arrondissement d’Atwater à Montréal de 2002 à 2007. Sans doute que la pratique du droit lui a conféré la perspicacité et la finesse d’analyse qu’on lui connaît de même que la capacité d’examen des enjeux de société. Par ailleurs, comme la cuisine occupe une place importante dans la vie des familles vietnamiennes, ce thème est présent dans plusieurs de ses ouvrages et devient le sujet principal du livre Le secret des vietnamiennes (Trécarré, 2017). Ajoutons à cela le rôle de l’auteure et de la gastronome dans les émissions télévisées où elle accueille des personnalités publiques à sa table.
À une question sur les tensions et les divisions observées dans la société canadienne sur les orientations politiques, les priorités de société et les priorités de développement, elle rappelle son adhésion aux valeurs et aux politiques publiques progressistes et au principe de soutien aux groupes défavorisés. « La pluralité des valeurs exprimées dans les différents partis politiques, la pluralité des points de vue dans l’espace démocratique et enfin le recours à des compromis sont d’excellents garde-fous contre la division au pays ». Avec sa connaissance du pays et l’influence des leaders qu’elle côtoie, elle n’hésite pas à souligner les valeurs qui définissent le pays. « L’entraide, c’est la fibre du Canada, comme le sont la générosité, le maintien des services sociaux et de santé ». Elle rappelle à titre d’exemple le soutien destiné aux élèves des milieux défavorisés pour les petits-déjeuners, ainsi que les mesures prises par les autorités publiques pour aider les déplacements des personnes en fauteuil roulant. « Une des forces du filet de sécurité accessible à tout citoyen se mesure aussi à la sophistication du droit de la faillite. Cela permet de donner une deuxième chance à tous ceux et celles qui essaient de développer une entreprise, qui vivent un échec et qui se réengagent dans la vie publique ».
Sur un ton sérieux, l’auteure dénonce le traitement que le Canada et ses institutions ont réservé aux autochtones. « Ceux qui occupent le pays depuis des milliers d’années ont subi les affres de la colonisation, soit l’imposition des règles de la société des blancs, l’imposition d’une langue unique et l’éradication des cultures. Jusqu’à il y a quelques décennies, il était terrible d’entendre les autorités dire que les peuples autochtones étaient sans culture et que leur langue était sauvage. Ces peuples méritent aussi le respect et la générosité, qui demeurent au cœur des valeurs canadiennes ». Mère de deux enfants, l’un autiste de 20 ans et l’autre de 22 ans aux études universitaires, elle prône l’écoute, l’empathie et la tolérance à titre de règles de société. « L’enseignement de la valeur du travail passe par la transmission des expériences de vie vers les jeunes ainsi que par des efforts pour susciter la curiosité intellectuelle ».
Dans ses conseils aux jeunes, elle suggère: « faites des expériences; profitez de tous les apprentissages qui vous sont offerts; reconnaissez que les épreuves peuvent devenir des opportunités pour devenir plus agile et plus fort; aimer son prochain c’est aussi reconnaître ce qui est beau dans l’autre ».