Conseiller stratégique et gardien culturel autochtone
De grande taille, arborant de longs cheveux, le leader Innu présente toutes les qualités d’un diplomate. On lui reconnaît une grande culture, une connaissance approfondie des cultures autochtones, une attitude d’ouverture et des compétences de communication remarquées. D’ailleurs, il n’est pas rare de l’entendre sur les ondes de Radio-Canada et dans les médias du Québec. Né d’un père Innu de Mashteuiatsh et d’une mère québécoise, il a suivi les canaux réguliers de la formation académique dans les écoles de la ville de Québec jusqu’aux études collégiales au CEGEP de Limoilou. « J’étais révolté et peu stimulé par l’école », dit-il. Cela contrastait avec l’influence de deux parents détenant de solides formations universitaires. Toutefois, c’est au CEGEP que l’éveil aux études avancées s’est manifesté par l’appui des professeurs Bruno Dufour et Roger Bacon qu’il remercie aujourd’hui. Le mode de vie autochtone nourrit les mois d’été et les périodes de vacances alors qu’il est souvent amené sur le territoire par son oncle Bernard Bacon et sa tante Eliane Raphael. C’est certainement par ses expériences sur la terre nourricière qu’il a intégré le lien organique entre culture innue, mode de vie de nomade de chasse et de pêche, sentiment d’appartenance au territoire et maintien de la langue séculaire qui décrit si bien les animaux, la forêt et le climat.
La diversité des apprentissages et des expériences professionnelles a certainement forgé la vision et les aspirations du jeune homme qui au début de sa carrière a réalisé des reportages pour le réseau de télévision des peuples autochtones ou Aboriginal Peoples Television Network (APTN). Les voyages de travail de coopération au Burkina Faso, au Guatemala, au Mexique ont manifestement fait émerger l’éveil aux grands enjeux planétaires. Cette sensibilité au devenir des humains et des sociétés s’est traduite par des études en anthropologie (1997), en travail social (1998), en étude des religions (1999) et en langues (2000-2001) à l’Université Laval. Lors d’un premier emploi régulier au Musée de la civilisation de Québec, il a eu l’opportunité d’approfondir ses connaissances sur les aspirations d’autonomie des nations autochtones, leurs histoires, ainsi que les impacts de la Loi sur les indiens adoptée en 1876.
Les enjeux des peuples autochtones du monde peuvent se ressembler. Il relate ce qu’il avait vu au Guatemala : le contrôle des terres au bénéfice des grandes entreprises minières et agricoles ainsi que les limites imposées aux libertés des peuples autochtones. Pour l’homme dont la mission est de relier les nations et les cultures autochtones au reste du monde, il importe d’outiller les jeunes autochtones et les non-autochtones pour comprendre le pays dans lequel nous vivons et son histoire. « Une mise à jour des corpus scolaires à tous les niveaux est impérative. Au Canada, la cohabitation des Autochtones avec les sociétés dominantes françaises ou anglaises s’est faite dans le contexte de la colonisation, puis avec l’imposition de la Loi sur les indiens qu’il faut expliquer. Eh bien, la mise en œuvre de cette loi et les politiques du moment visaient aussi à contrôler le devenir des peuples autochtones, notamment par la sédentarisation dans les réserves indiennes, et par une éducation des jeunes Autochtones qui visait la disparition des langues et des cultures. Il fallait tuer l’Indien dans l’enfant ! ».
Bien qu’il expose que sa grand-mère ne s’exprimait pratiquement qu’en langue innue, l’innu-aimun, il insiste sur un fait reconnu par une majorité d’Autochtones des communautés : « il arrivait souvent qu’on préfère voir ses enfants bien apprendre la langue dominante, au détriment de la langue autochtone, afin qu’ils aient plus de chances de mieux s’en sortir dans la vie! » . Bien que les cultures autochtones connaissent aujourd’hui une belle diffusion publique, l’usage et l’enseignement des langues autochtones dans les communautés demeurent dans un état de précarité préoccupant pour plusieurs nations, énonce-t-il. Les préoccupations du leader autochtone expliquent d’ailleurs sa participation aux audiences de la commission parlementaire du projet de loi 96 sur la langue officielle et commune du Québec, le français.
« J’avais envie de consacrer mes études à l’autonomie gouvernementale, à la mise en œuvre du droit à l’autodétermination », relate-t-il. C’est ainsi qu’il s’est engagé à une maîtrise en administration publique à l’École nationale d’administration publique (ÉNAP) qu’il a complétée en 2009. Le père de deux enfants, Olivier et Migwetch, s’est consacré au développement de l’entreprise de consultation, Ashukan, qu’il a fondé il y a douze ans. Ses clients et partenaires sont associés aux conseils de bande, aux conseils tribaux, aux ministères et organismes publics et enfin à diverses organisations régionales comme l’Assemblée des Premières Nations du Québec-Labrador. Ici, le leader s’affaire à soutenir le leadership et une saine gouvernance dans les organisations autochtones, à améliorer les processus décisionnels et à accompagner les organisations dans la concertation et la réalisation des planifications stratégiques. Dans ses démarches, il vise à faire émerger l’intelligence collective. Le travail s’articule autour de principes managériaux : favoriser l’expression d’une diversité de visions, permettre à tous de s’exprimer, et assurer une écoute respectueuse des points de vue. Aujourd’hui, dans le cadre des activités d’Ashukan, il se consacre plus que jamais à offrir des formations qui visent à mieux comprendre les réalités autochtones et agir pour une véritable réconciliation avec les Peuples autochtones.
C’est avec fierté qu’Alexandre relate les entretiens qu’il a eus avec l’ainé Tommy Raphaël qui a vécu le nomadisme sur le territoire innu. « Cette alternance entre la ville et les territoires traditionnels, pour y mener des activités de chasse et de pêche, est à la base de la culture innue. La collecte de la nourriture par les noyaux familiaux avait et continue de donner un cadre aux rapports sociaux dans les communautés et à l’extérieur des celles-ci. « Le lien intime que nous chérissons avec le territoire – le Nitassinan – est non seulement le fondement de notre sécurité alimentaire, mais aussi celui de notre identité. » « Il importe donc de protéger ce précieux territoire pour que les ressources qu’il contient y soient disponibles de façon durable ».
« La défense du leg de nos ancêtres mènent à un dialogue de bonne entente avec ceux avec qui nous cohabitons sur le territoire. Il faut trouver un champ de valeurs communes. Reconnaissant qu’il soit difficile de combler les besoins de tous les utilisateurs du territoire, le modèle des ententes sur les répercussions et les avantages (ERA) entre ceux qui développent des projets et les organisations autochtones a une pertinence. Cela n’exclut pas le rôle cardinal des Premières Nations concernées dans le processus de décision des projets. Pour nous, l’interconnexion entre le monde du vivant et le territoire fait partie des enjeux à considérer dans tout projet ou toute occupation du territoire ».
L’homme qui fait preuve de sagesse est souvent interpellé dans le cadre des discussions ayant trait à l’avenir des relations sociales et politiques entre les Premières Nations, mais aussi avec les gouvernements. Il nous rappelle que : « En 1979, les Innus et les Atikamekw ont proposé qu’une négociation s’amorce pour définir la portée des droits des uns et des autres sur les territoires, sans qu’aucun résultat concret entre les parties n’émerge depuis ! Nous ne sommes pas obligés de vendre notre territoire pour avoir le droit de vivre dessus ! », affirme-t-il. « Il importe de baliser de manière pacifique les façons de fonctionner sur le territoire dans le respect de tous les utilisateurs ».
Les valeurs du conférencier s’appuient sur un patrimoine autochtone qu’il maîtrise avec aplomb jusqu’à ses sources. Lors d’un entretien à Radio-Canada en mai 2021 avec l’animatrice Kim O’Bomsawim, Alexandre partageait sa passion de conteur qu’il exerce lors d’événements culturels comme le festival Atalukan à Mashteuiatsh. À partir du corpus culturel algonquien, il amène ses auditeurs vers des récits et des épopées fantastiques.
Dans le registre de ses valeurs, le leader rappelle le besoin d’agir pour conserver la diversité des cultures et des langues, et bien sûr le respect de la justice entre les humains et leurs groupes sociaux. Il relate l’absolue nécessité de combattre les injustices envers les groupes marginalisés, nommons les gais, les lesbiennes, les gens affligées par la pauvreté, et enfin la bienveillance et le soutien envers les jeunes et les ainés. Quelques messages aux jeunes : « Il faut trouver ses forces, vivre des expériences, avoir droit à l’erreur; Faire des choix éclairés et aimer ce que l’on fait ; Se sentir utile.