Par Josephine LoRe
La semaine dernière, j’ai assisté à une série de lectures de poésies organisées par Single Onion et dont le thème était : histoires d’immigrants. Cela m’a fait réfléchir à ma propre histoire. Je suis née au Canada, mais mes parents ont immigré ici, ce qui fait que je suis une Canadienne de première génération. Je ne me suis jamais considérée comme une immigrante; à l’époque, on parlait de nouveaux Canadiens.
Les rythmes de mon berceau
Nouveaux Canadiens,
c’est ainsi qu’ils nous appellent,
les familles de notre quartier,
Italiens et Grecs,
Portugais et Ukrainiens,
Nouveaux Canadiens,
Peut-être pour nous différencier des anciens Canadiens,
comme Mme Brown, deux maisons plus bas,
qui a de la moustache,
et un petit chien noir et trapu qui se dandine en marchant,
et une tapette en métal et en bois pour ses tapis.
De nouveaux Canadiens qui ont apporté de vieux mots,
de leur vieux pays,
comme sculapasta,
pour égoutter les spaghettis,
et sculapiatta,
pour égoutter les plats,
paletta et scupa,
pour balayer le plancher.
Qui ont apporté de vieilles habitudes,
de leur vieux pays,
comme de porter du noir toute leur vie,
si leur mari décède,
bonarma,
et de prier Saint-Antoine,
pour retrouver,
des choses perdues,
et de prier la madonne,
pour voyager sans danger.
Qui ont apporté de vieilles idées,
de leur vieux pays,
comme gâter les enfants,
li picciliddri, et respecter,
leurs aînés, li vicchiariddri,
et ne pas oublier d’où ils sont venus.
Inoubliables moments,
cette enfance,
dans ce nouveau Canada,
Comme un 45 tours jouant sur une platine,
en dansant lorsque les invités arrivent,
comme lisser, nouer, déplier des mouchoirs de papier,
pour faire des fleurs multicolores qu’on colle,
sur la Pontiac Strato-Chief argent,
de nos cousins qui se marient,
comme regarder ma nanna rouler comme par magie,
dans la farine, les œufs et un pizzicuni de sel,
des lasagnes fines comme du papier,
en utilisant un stegnatore,
un rouleau à pâtisserie long de quatre pieds,
que mon père a fabriqué pour elle,
en sablant un vieux manche à balai,
comme cueillir du basilic dans le jardin,
frais et parfumé,
pour les pots de sauce tomates
que l’on conservait dans le bagno marina.
Et puis, il y avait les rythmes,
des vieilles langues d’Italie,
ce sicilien dont les racines,
étaient aussi profondes que ses branches étaient longues,
qui venait du latin, mais aussi du grec,
et des patois d’Espagne et de la langue des Maures
et de celle des Normands et des Carthaginois
qui se sont amarrés sur cette île triangulaire,
inondée de soleil,
et qui l’ont tant aimée,
qu’ils n’en sont jamais repartis.
Des rythmes qui résonnent encore,
comme le ninna-nanna,
les berceuses qui nous calmaient étant bébés,
comme la tarantella,
que nous dansions lors des mariages,
comme les pincements mélancoliques de la mandoline,
qui chantaient le désir de quitter,
le pays bien-aimé,
et de traverser l’immense océan.
Ils étaient les rythmes de mon berceau,
les musiques avec lesquelles,
je berce aujourd’hui mes enfants,
les bribes de souvenirs,
et les histoires que je leur lègue,
et qui rappellent,
toute en finesse et en complexité,
ce qui pour moi,
signifie être,
un nouveau Canadien.
21 janvier 2017 / Lac Louise