Par Robert Porter
Né à Saint-Jean Terre-Neuve & Labrador, en 1949, trois ans avant la Confédération, Bob Porter se souvient de ses visites au port de St-jean lorsqu’il était enfant. Il allait y acheter du poisson ou simplement regarder les bateaux amarrés au quai. Le port était toujours achalandé, rempli de bateaux de pêche, de cargos et de navires de passagers pour lesquels St-Jean était la dernière escale avant leur traversée de l’Atlantique ou leur première après des semaines passées en mer.
À cette époque, on voyait souvent des bateaux de la « flotte blanche » portugaise – un groupe de grands voiliers peints en blanc qui, jusque dans les années 1970, allaient régulièrement pêcher la morue sur les Grands bancs de Terre-Neuve. Les membres d’équipage déambulaient dans le centre-ville de St-Jean, faisant des achats, discutant et partageant des aspects de leur culture avec les habitants – notamment, leur amour du soccer. À l’occasion, les marins de ces bateaux se rassemblaient sur l’un des nombreux terrains vagues du coin pour y jouer une partie amicale de soccer… « En tant que spectateurs curieux, nous n’étions jamais sûrs de l’esprit “amical” de ces rencontres et nous soupçonnions qu’une certaine rivalité existait entre les équipages des navires ».
Être né et avoir été élevé dans une province aussi isolée géographiquement et aussi distincte culturellement a rendu très difficile la décision de Bob de déménager avec sa jeune famille en Ontario, en 1984. Le projet d’origine était de déménager temporairement, pendant quelques années, afin de gagner de l’expérience et de revenir ensuite dans sa province. À ce moment, il se sentait comme « quittant sa terre natale, s’éloignant de sa famille et de sa culture ».
Après le déménagement, il devint vite clair qu’aucun emploi viable ne l’attendrait dans sa province natale, et il se souvient avoir ressenti un profond sentiment de perte à la pensée que : « une fois que l’on a mis le pied sur le continent, il n’y a plus de retour possible ». Une idée qui, au cours des ans, a fait son chemin chez beaucoup de résidants des provinces de l’Atlantique.
Bob Porter s’est installé définitivement à Ottawa avec sa famille, et lorsqu’on lui a demandé ce que représentait l’enjeu d’élever ses enfants en Ontario tout en préservant leur lien avec Terre-Neuve et leur identité culturelle, il a expliqué que sa femme et lui avaient toujours voulu que leurs enfants développent leur identité propre tout en s’efforçant de les relier idéologiquement et spirituellement à leur patrimoine familial. « [Nos enfants] peuvent revendiquer à juste titre leurs racines et leur patrimoine familial – ils viennent de là-bas ».
Néanmoins, pendant longtemps, lorsqu’il rencontrait des gens vivant toujours là-bas, Bob sentait un besoin de se justifier d’avoir quitter l’île et plus d’une fois il s’est fait dire « qu’il n’était plus un Terre-neuvien ». Toutefois, au cours de ses voyages à travers le Canada pour le compte du gouvernement fédéral, il n’a jamais senti ce besoin de justifier ses origines de Canadien issu de Terre-Neuve. En fait, il fait remarquer que « l’endroit d’où nous venions semblait même améliorer la qualité et la durabilité de nos relations ».
Cette force identitaire et cette fierté du patrimoine terre-neuvien prennent leurs racines dans les mentalités de l’île, croit-il. L’île est isolée, accidentée et difficile d’accès, et ses habitants ont vraiment été laissés à eux-mêmes. Beaucoup de changements ont eu lieu au cours du dernier siècle – de colonie de l’Empire britannique, l’île a ensuite fait partie du dominion pour finalement devenir une province du Canada – et le sentiment d’appartenance des Terre-Neuviens à leur île n’a jamais vraiment changé.
En se tournant vers le passé, se sent-il des affinités avec les immigrants qui arrivent au Canada de partout dans le monde? « Tout à fait ». Les enjeux qui attendent les nouveaux arrivants sont exactement les mêmes que pour les Canadiens qui s’installent ailleurs au pays.