Par Thomas Gallezot
D’habitude, quand je souhaite prendre contact avec une personnalité du calibre de Me Tamara Thermitus, j’envoie un courriel de présentation auquel je n’espère pas de réponse, mais qui me sert de support pour une relance téléphonique quelques jours après. Mais là, à peine avais-je cliqué sur le bouton d’envoi, que mon téléphone sonnait. C’était elle.
Inutile de dire que j’avais la gorge nouée. Avocate au ministère fédéral de la Justice, Tamara Thermitus a été directrice des politiques et de la planification stratégique au Bureau de la résolution des questions des pensionnats indiens. À titre de négociatrice en chef pour le gouvernement fédéral, elle a participé à la définition du mandat de la Commission de vérité et de réconciliation et a été au cœur des discussions menant au règlement historique que l’on sait. Première femme noire et première avocate du ministère de la Justice à recevoir le Mérite du Barreau pour l’année 2011, elle a été aussi une des premières juristes à mettre au grand jour les problématiques de la discrimination raciale dans sa profession.
Pourtant quand je raccrochais le téléphone, une bonne demi-heure plus tard, j’avais l’impression d’avoir eu une conversation avec une amie d’enfance. Tamara fait partie de ces gens rares qui préfèrent partager qu’impressionner.
Née à Port-au-Prince, en Haïti, Tamara est arrivée avec sa famille à Sept-Îles, au Québec, en 1967. C’est là qu’elle a grandi, en immersion totale dans la société québécoise. À l’époque, il n’y avait pas d’autre famille d’origine haïtienne vivant dans la région. On serait tenté de penser que cette expérience a joué un rôle majeur dans sa prise de conscience des ravages causés par la discrimination systémique. En réalité c’est surtout le racisme dont sont victimes les peuples Autochtones qui a marqué son enfance et lui a fait prendre conscience des préjugés et des discriminations envers les personnes racisées.
Il ne faudrait pas croire cependant que son intégration à la société québécoise se soit faite sans accroc. Ainsi, lorsqu’elle était au CÉGEP de Sept Iles, il est arrivé qu’une conseillère en orientation lui dise que malgré son bon dossier académique, elle ne pourrait jamais entrer à la Faculté de droit. Cette manifestation de discrimination, bien que probablement inconsciente, aurait pu la décourager. Pourtant cela n’a fait qu’accroître sa motivation à devenir avocate.
Malgré tout ce qu’elle a déjà accompli et les avancées indéniables que son action a permis de réaliser, elle assure qu’elle n’est pas mue par l’ambition de changer le monde, mais simplement de faire son devoir de citoyenne. Originaire d’un pays extrêmement défavorisé, elle a l’impression d’avoir été particulièrement choyée et a eu très tôt envie de donner en retour.
Au fond ce qui l’anime c’est de faire en sort e que son passage sur terre ne soit pas vain et contribue à améliorer, autant que faire se peut, nos conditions de vie collective. C’est pourquoi elle préfère ne pas s’attarder sur ce qui a déjà été fait et préfère se concentrer sur ce qui reste à faire. Elle n’aime pas qu’on évoque les honneurs qu’elle a reçus et préfère parler des autres que d’elle-même.
Sur un plateau de télévision, une journaliste, un jour, lui demanda si elle avait un modèle qui la guidait dans ses choix. Elle s’attendait sans doute à ce qu’elle cite quelque personnalité célèbre. Tamara préféra mentionner sa mère. Cette femme d’exception, qui, en son temps, n’a malheureusement pas eu l’opportunité de poursuivre ses études, lui a donné de solides valeurs éthiques, de la confiance en elle et surtout beaucoup d’amour. C’est cet amour-là qui lui permet d’avancer.