Par Nic Enright-Morin
Sherri Kajiwara expose la réalité « nikkei » au Canada*
*traduction de l’article de Nic Enright-Morin, publié le 2 mai 2016 sur le site Canadian Immigrant sous le titre « Sherri Kajiwara curates what it means to be Nikkei in Canada ».
Au moment de quitter le Japon pour venir vivre au Canada, Sherri Kajiwara n’avait que trois ans. Elle ne parlait pas un mot d’anglais, ce qui est un défi pour tout nouvel arrivant et, à plus forte raison, pour une enfant émigrant au Canada pour y être adoptée.
« Mes parents adoptifs essayaient d’avoir un enfant mais n’y parvenaient pas et moi, je vivais avec mon frère et ma grand-mère au Japon, explique Kajiwara. Là-bas, selon une vieille tradition remontant à des centaines et des milliers d’années, lorsqu’une famille avait plusieurs enfants, et qu’une autre n’en avait pas, la première donnait ses plus jeunes enfants pour adoption à la seconde. C’est dans cet esprit que ma famille adoptive et ma famille naturelle furent mises en relation. »
C’est sa grand-mère qui élevait Kajiwara et son frère aîné, mais comme elle ne disposait que de très peu de soutien pour s’occuper d’eux et que son mari était souffrant, elle voulut les faire adopter pour qu’ils aient la chance d’avoir une vie meilleure. Kajiwara devait être adoptée avec son frère, mais pour finir, elle partit seule au Canada, laissant derrière elle tout ce qu’elle avait connu. Selon elle, malgré son très jeune âge, cette transition ne la perturba pas. « C’est en Alberta que j’ai passé ma première année au Canada. Je ne me souviens pas de grand-chose, dit-elle. Mais j’étais très sociable et, bien vite, j’avais tous les enfants du quartier qui me suivaient en chantant des chansons japonaises. Je m’en souviens comme d’un endroit très accueillant. C’était probablement un lieu plus propice à la transition que ne l’aurait été une grande ville. »
Ses parents adoptifs ayant promis à sa grand-mère qu’ils lui permettraient de garder sa langue et son patrimoine japonais, la famille s’en alla vivre à Vancouver l’année suivante, estimant que les occasions y seraient plus nombreuses d’accéder aux traditions et à la culture japonaises. Kajiwara souligne que sa famille adoptive fit beaucoup d’efforts pour qu’elle se sente fortement liée à son lieu de naissance et, aujourd’hui, elle se sent bien ancrée dans les deux pays.
« Ma famille canadienne était très ouverte et m’a amenée visiter le Japon de nombreuses fois. Elle voulait me faire connaître mon frère en tant que tel, dit-elle. La première fois que j’y suis retournée, j’avais perdu beaucoup de mon japonais; je comprenais mon frère mais n’étais pas capable de répliquer, et ça, ça ne me plaisait pas du tout! Je voulais avoir raison de mon frère aîné et c’est ce qui m’a motivée à réapprendre la langue. Au moment où j’ai obtenu mon diplôme de l’Université de Colombie-Britannique, j’étais parvenue à la parler couramment. »
Depuis 2010, Kajiwara s’est davantage immergée dans la langue et la culture japonaises, travaillant au Nikkei National Museum and Cultural Centre, situé à Burnaby, en Colombie-Britannique. (Le mot « nikkei » est dérivé du japonais nikkeijin, qui fait référence aux Japonais ayant émigré du Japon et à leurs descendants). Depuis un an, elle est directrice et conservatrice du musée. L’histoire de la communauté japonaise au Canada remonte à loin et c’est pour commémorer son importance dans la mosaïque canadienne que le Nikkei Centre a été ouvert. Il a été inauguré le 22 septembre 2000, jour anniversaire des excuses officielles présentées par le gouvernement du Canada aux Canadiens d’origine japonaise pour le traitement qui leur fut infligé pendant la Seconde Guerre mondiale.
Les bâtiments du centre abritent un centre culturel japonais, un musée, un centre communautaire et un jardin japonais. « Quand je suis allée y vivre au départ, commente Kajiwara, ce centre n’existait pas, ce qui est intéressant, car c’est certainement le genre d’installation où mes parents adoptifs auraient pu remplir toutes les obligations prises lors de mon adoption. Il est donc intéressant que j’y sois à présent, et que la boucle en quelque sorte se referme. »
En tant que conservatrice et directrice du musée, Kajiwara s’occupe des expositions et, avec son équipe, coordonne les programmes éducatifs, les projets muséaux, les collections des archives et la recherche. L’exposition Taiken, qui s’inscrit dans les expositions permanentes, documente la riche histoire des immigrants nés au Japon depuis leur arrivée au Canada. Elle inclut celle des premiers colons venus s’établir en 1877, les épreuves vécues par les premiers pionniers, les luttes de la population canadienne d’origine japonaise durant les années de guerre et la façon dont il leur fallut rebâtir leur vie durant les années 50.
Kajiwara évoque l’adversité, les préjugés et le racisme auxquels cette population fut confrontée durant la Seconde Guerre mondiale : « Il y avait certainement un sentiment anti-asiatique à l’époque et les Japonais n’étaient sûrement pas les seuls à y être confrontés. Ma tante [au Canada] était apparemment extrêmement intelligente et très ambitieuse et voulait aller à l’université pour y obtenir un diplôme d’enseignante, raconte-t-elle. Mais son père, conscient du racisme, de la réalité économique de l’époque, savait qu’elle n’obtiendrait pas d’emploi après l’université et l’encouragea donc à s’inscrire dans une école de couture pour y acquérir des compétences lui permettant de subvenir à ses besoins. »
Kajiwara fait remarquer que les comportements ont heureusement considérablement évolué depuis la fin de la guerre et qu’actuellement, il est normal de penser que les Canadiens d’origine japonaise font depuis longtemps partie intégrante de la culture canadienne. Selon elle, l’ouverture du Canada à la diversité se perçoit aussi dans la diversité des gens qui fréquentent le Nikkei National Museum. « Nous y voyons venir toutes sortes de gens! Il y a les résidents de la métropole de Vancouver, les Canadiens d’origine japonaise de tout le pays, de même que de nouveaux immigrants au Canada. La population d’origine japonaise affiche un taux élevé de mariages mixtes si bien qu’elle est présente dans beaucoup de cultures au pays. Comme le centre abrite également la Gladstone Japanese Language School, on y rencontre aussi beaucoup de jeunes familles qui viennent y éduquer leurs enfants à la langue et à la culture japonaises. »
« Le musée est fier d’accueillir [cette année] le dîner de remise des prix et le gala de clôture du festival explorASIAN, organisé à Vancouver à l’occasion du Mois du patrimoine asiatique, ajoute Kajiwara. Il est important de célébrer ce mois, car c’est un endroit très multiculturel où l’on trouve un très grand nombre de cultures asiatiques. C’est, plus que tout, une affaire de sensibilisation et d’éducation et, si on y accorde plus d’attention, ne serait-ce que pendant un mois, cette sensibilisation va pouvoir se répandre. Espérons que les gens sachent apprécier le fait qu’ici toutefois, au Nikkei Centre, c’est 24 heures sur 24 qu’on célèbre le patrimoine japonais, et ce, toute l’année! » lance-t-elle dans un éclat de rire chaleureux.
Kajiwara est à jamais reconnaissante de son parcours au Canada : « Je crois que cela m’a donné davantage de possibilités et c’est exactement ce que voulait ma grand-mère, confie-t-elle. Elle pensait qu’il y serait plus facile, pour une fille venue d’un foyer brisé, de progresser dans la vie et d’obtenir une meilleure éducation et de meilleures chances. J’aime le Canada parce qu’on y trouve davantage d’égalité entre les sexes; c’est plus libéral et l'on y a la liberté d’expression. Cela dit, il existe de la beauté dans l’étiquette, la culture, la grâce et la politesse du Japon, et j’aime à penser qu’il m’est possible d’adopter ce qu’il y a de meilleur dans chaque pays. »
Ressources :
Sherri Kajiwara curates what it means to be Nikkei in Canada (Original article)