Par Adam Samuel
Un coucher du soleil sur Auschwitz
Le soleil se couche. Le ciel est rose et la température est idéale. Je me trouve à 200 mètres à l'intérieur des portes d'Auschwitz à côté de mon grand-père, Howard Kleinberg. Cette journée a été épuisante pour lui, tant sur le plan émotionnel que physique. Alors que nous marchons vers la sortie de cet endroit douloureux, nous croisons un groupe de 25 adolescents accompagnés de six adultes.
Le groupe vient de Casablanca, au Maroc. Un interprète français se trouve parmi eux. Mon grand-père leur sourit. Son sourire suscite la curiosité. L'interprète demande : « Êtes-vous un survivant? » Durant notre voyage, nous avons rencontré plusieurs groupes. Il est évident pour moi que ces adolescents marocains n'ont jamais rencontré de survivants de l'Holocauste, et encore moins écouté l'un d'eux. Mon grand père montre son numéro d'identification tatoué sur son bras, preuve de son séjour dans ce camp. Le groupe intrigué s'approche.
En l'espace de quelques instants, ces jeunes deviennent fascinés par une histoire que j'ai entendue de nombreuses fois. Leur garde de sécurité regarde sa montre d'un air affolé et indique qu'il est temps d'y aller. Le groupe doit s'empresser de partir. Toutefois, il me paraît clair qu'aucun d'entre eux ne bougera pour l'instant. L'interprète fait de son mieux pour garder son calme et, entre-temps, le coucher du soleil poursuit sa course.
La majorité des milliers de visiteurs d'Auschwitz sont déjà retournés à leur autobus. Toutefois, cet homme qui a enduré les pires choses de la vie, ce témoin de l'inimaginable, « s'attarde en quelque sorte plus longtemps » dans un endroit qu'il rêvait autrefois de fuir. L'ironie de la situation ne m'échappe pas.
Son témoignage commence par une description des wagons pour le bétail qui l'ont transporté par voie ferrée avec des milliers d'autres vers cette destination tristement célèbre. Il décrit la claustrophobie, puis la puanteur, la peur, les sons et les lieux étranges qui les attendent lorsque le train s'arrête et que les portes s'ouvrent. C'était en septembre 1943.
Il raconte l'expérience horrifiante d'entrer dans « la douche » en sachant que c'est la fin. Puis, l'euphorie qu'il a ressentie au contact de l'eau déversée au lieu des gaz.
Il veut que le groupe comprenne le sens du travail forcé ainsi que les conditions insoutenables. Il leur parle de l'utilisation d'un sac de ciment vide comme veste improvisée pour empêcher de geler. Il leur décrit son menu quotidien, soit une tranche de pain moisi et une tasse de soupe très liquide ne contenant presque aucun nutriment. Il serait certainement mort dans ce camp, mais les nazis avaient besoin de main-d'œuvre ailleurs pour effectuer du travail forcé. C'est ainsi qu'ils l'ont emmené vers un autre camp en Autriche portant le nom de Mauthausen.
Chaque nuit à Mauthausen, après une journée de travail épuisante, mon grand-père et les autres prisonniers étaient obligés de se déshabiller et de courir dans la neige jusqu'aux douches froides. Cela a duré 30 jours. Ensuite, le groupe a été forcé d'embarquer dans des trains pour être conduit vers sa destination finale : Begen Belsen.
Au moment où mon grand-père entame la dernière partie de son histoire, l'interprète prend une profonde inspiration. Puis, il leur décrit un endroit sans nourriture, sans installation sanitaire, sans travail et sans espoir. II s'agissait littéralement d'un camp de la mort.
Le 15 avril 1945, l'armée britannique libère Bergen Belsen. Mais, à ce moment, Howard Kleinberg est très affaibli. Il n'a plus la force physique ni la volonté émotionnelle de se battre. Il se couche pour mourir à côté d'une pile de cadavres.
Il croyait que la mort arriverait rapidement, mais une chose bizarre s'est produit. « J'entendais des voix féminines planer au-dessus de moi », déclare-t-il. Une jeune fille implore deux autres femmes plus âgées de le sauver. Ces dernières sont sceptiques. S'il n'est pas mort, il le sera sûrement sous peu. Mais la jeune fille tient tête. Elle réussit à convaincre les autres de le transporter dans une salle récemment abandonnée par les officiers allemands, où des femmes tentent de lui procurer des soins pour le guérir.
Mais, Howard Kleinberg sait qu'il est gravement malade et qu'il a besoin d'un médecin. Puisque la guerre n'est pas terminée, il n'y en a pas. Il raconte au groupe qu'un jour il se réveille et ne voit personne dans la pièce. Il décide de ramper jusqu'à une route. Heureusement, un véhicule militaire s'arrête et le transporte jusqu'à un hôpital afin qu'il reçoive des soins médicaux. Son hospitalisation dure six mois. Lorsqu'il prend congé, les trois femmes ont quitté les lieux depuis longtemps.
Plusieurs mois plus tard, il reçoit ses papiers pour immigrer au Canada. Il retrouve à Toronto quatre frères et sœurs ayant immigré avant la guerre. Puis, il se trouve un emploi et apprend l'anglais. Il commence à rebâtir sa vie.
Quelques mois plus tard, il apprend que Nancy, la jeune fille qui lui a sauvé la vie, se trouve également à Toronto. Impatient de la remercier personnellement, il lui achète un bouquet de corsage et se rend chez elle. Les deux s'entendent bien et commencent à se courtiser. Leur mariage a lieu trois années plus tard, en mars 1950. M. Kleinberg montre des photos au groupe. Après 66 ans, c'est toujours l'amour.
Les adolescents et les adultes qui les accompagnent sont ébahis. Il s'agit de leur première rencontre avec un survivant. Ce dernier leur a raconté l'un des récits les plus extraordinaires qu'ils entendront de toute leur vie. Le groupe commence à se réjouir en chantant et en dansant Am Yisrael Chai alors que M. Kleinberg est tout souriant. Pendant neuf décennies, ce sourire irrésistible a irradié d'espoir, de foi, d'optimisme et d'amour.
Le soleil s'est couché sur Auschwitz, mais pas pour le peuple juif et certainement pas pour mon Zaidy, Howard Kleinberg.
World's Greatest Love Story (Traduit avec l'autorisation de l'auteur. Ce récit a d'abord paru en anglais sur aish.com)
Ressources :
• Sunset Over Auschwitz (Original story) (en anglais seulement)
• Video: World's Great Love Story (en anglais seulement)
• Canada 56/150: Rachel Shtibel
• Our Family Holocaust Chronicle (en anglais seulement)
• Welcome to Canada? A Student Resource on Canadian Immigration Policies - Past, Present and Future(en anglais seulement)