par Rubin Friedman
Je suis né il y a 69 ans dans un lieu qui n’a jamais officiellement existé. Voici comment.
Pour échapper à l’occupation de la Pologne par les nazis et à l’holocauste, mes parents, qui étaient juifs, s’étaient réfugiés en Union soviétique. Ils continuèrent à fuir d’un lieu à un autre, tout d’abord ensemble, puis séparément à compter de juin 1941. Six mois après leur séparation, mon frère vint au monde. Après avoir été témoins d’horreurs et subi de dures épreuves, ils eurent toutefois la chance d’être à nouveau réunis en 1945, date à laquelle ils retournèrent en Pologne avec leur fils, mon frère.
En août 1946, en raison de la violence infligée aux juifs dans ce pays, ma mère, alors enceinte, son époux et leur fils s’enfuirent à nouveau, cette fois en direction de l’Ouest, en train. Il se trouva que j’étais prêt à naître au moment où le train atteignait le camp de réfugiés de Linz, qui avait officiellement été déclaré comme n’appartenant pas au territoire autrichien, soit nulle part.
À Stuttgart, en Allemagne, nous avons vécu deux ans dans un camp de réfugiés jusqu’à ce que l’on nous accorde la permission de venir au Canada en tant que réfugiés parrainés. Nous avons débarqué du SS General S.D. Sturgis le 16 octobre 1948 à Halifax.
Nous nous sommes ensuite rendus en train jusqu’à Toronto. C’est là que j’ai fréquenté l’école, que j’ai grandi et que j’ai peu à peu pris conscience de ma personnalité. L’adaptation à Toronto fut un défi pour nous tous.
Il y avait des gens qui continuaient d’éprouver de la haine à l’égard des juifs. Mon frère et moi avons appris à nous défendre pour survivre dans notre environnement immédiat. Mon frère me surnomma « Norm », car « Rubin » avait une consonance trop juive et pourrait attirer ceux qui nous en voulaient.
Mes parents ont parlé toute leur vie l’anglais avec un accent très prononcé et avec une tendance à faire des erreurs. Ils approchaient la quarantaine quand ils sont arrivés au Canada et n’ont pas trouvé facile de s’adapter. Mon père surtout n’arrivait pas à maîtriser les pratiques commerciales canadiennes.
Quand j’y repense, je réalise que mon père, ma mère et mon frère souffraient tous d’un certain état de stress post-traumatique, avec des symptômes de dépression, une culpabilité de survivants, de l’anxiété, une hypersensibilité et la peur.
Mais par ailleurs, ils avaient tous foi en une justice ultime; il sentait le besoin d’aller de l’avant, de survivre en dépit des difficultés, pour montrer au monde que celui-ci avait échoué à les détruire et pour triompher.
Quant à moi, je n’ai commencé à comprendre qui j’étais et d’où je venais que le jour où mes parents m’ont montré mon nouveau certificat de citoyenneté sur lequel étaient inscrits mon lieu de naissance et mon nom originel. Ce certificat me prouvait que j’avais tout autant le droit à l’identité canadienne que je m’étais déjà forgée que ne l’avait quiconque. J’étais reconnaissant pour ce qui me semblait être un privilège.
Depuis, je n’ai jamais cessé de vouloir en apprendre davantage sur le Canada et ses réalisations, de même que d’accepter ses échecs. Il m’a fallu assimiler tout cela pour pouvoir en faire mon propre patrimoine canadien.
Mes parents m’ont appris qu’il fallait juger les gens d’après leurs actions et non d’après leurs origines, leur religion ou la couleur de leur peau. Pour eux, le Canada était un pays où tout le monde pouvait vivre des valeurs d’acceptation et de responsabilités mutuelles, un pays pacifique et précieux valant la peine d’être défendu.
C’est en ce pays-là que je crois. Je m’appelle Riwen Fridman et Rubin Friedman, et je suis Canadien.
Our Family Holocaust Chronicle Part 1 - Running for Their Lives
Our Family Holocaust Chronicle Part 2 - Fitting Into Toronto