– Geetanjali. Rabindra Nath Tagore, traduction libre.
par Suresh Kurl
Le 1er juillet est le jour de célébration de l’anniversaire du Canada et, pour bien des Canadiens naturalisés, c’est aussi le jour où ils ont été accueillis dans la démocratie canadienne et ont reçu l’un des honneurs les plus convoités qui soient : la citoyenneté canadienne.
En ce qui me concerne toutefois, cet honneur m’a été conféré d’une manière extraordinairement prodigieuse. Il n’y eu aucun spectacle à regarder, aucun gâteau à déguster et aucun drapeau de papier à agiter. Tout ce que j’ai fais, c’est de me rendre au bureau de la citoyenneté. À cette époque, on pouvait s’asseoir pour un tête-à-tête avec un agent et raconter son histoire.
« Que puis-faire pour vous? » m’a-t-elle demandé?
Comme pour d’autres, plusieurs raisons ont contribué à forger ma décision d’abandonner ma citoyenneté de naissance. Mais celle qui m’a amenée à votre bureau ce matin est très particulière. Avez-vous le temps de m’écouter? Ai-je demandé.
Bien sûr, a-t-elle répondu en souriant.
Ses cheveux gris et son visage vieillissant m’assuraient qu’il n’y avait rien qu’elle n’ait déjà entendu. Je voulais toutefois qu’elle sache que la détermination qui animait ma décision d’abandonner ma citoyenneté indienne n’était ni financière, ni politique, même si l’Inde se trouvait alors en état d’urgence. Nous étions en 1975.
Je lui racontai mon histoire.
« En juillet, j’étais en Inde. Il s’est trouvé que mon frère Ram, qui vit au Nigéria, s’y trouvait également. Un soir, nous avons décidé de nous promener sur les rives du Gange sacré, dans un but spirituel. Au lieu de cela, ce que nous avons ressenti a plutôt été démoniaque. Je remarquai que le mot « démoniaque » avait renforcé son attention.
Les eaux glacées du Gange en inondaient les rives de boue et de débris charriés de la montagne. C’était la saison des pluies. Je remarquai qu’un énorme tronc d’arbre s’était pris dans les chaînes d’acier installées pour les pèlerins afin qu’ils s’y retiennent lorsqu’ils descendaient dans le fleuve pour s’y baigner. Alors que nous nous approchions du tronc, j’ai vu un corps, coincé entre les branches. J’ai demandé à Ram ce que c’était, selon lui.
Il me confirma ce qui apparaissait évident. C’était le corps d’un homme nu.
Nous sommes allés chercher un agent de police afin de lui faire part de notre découverte, lui avons parlé du corps et offert de l’apporter au poste.
« Que voulez-vous que j’en fasse? Ce n’est pas mon travail », a-t-il dit.
« Il pourrait s’agir d’une personne disparue, ou la victime d’un meurtre? Ne voulez-vous pas savoir? »
« Allez le dire au Sewa Samiti. Ils s’en occuperont. C’est leur travail de ramasser les corps et de les incinérer », conseilla l’agent.
Ram et moi échangèrent un regard, n’ayant plus d’autre solution que de rapporter la découverte au comité des bénévoles.
« Il se pourrait que sa mère soit à sa recherche, que sa femme soit en train de l’attendre, que ses enfants soient en train de le pleurer, mais ce policier n’en a rien à faire », dis-je à Ram.
« Vois comme il est facile de trouver un corps et de s’en débarrasser. Dans quelques heures, la crémation aura effacé tout signe de sa vie », se lamentait mon frère.
Et moi d’ajouter : « Je te parie qu’ils n’auront même pas pris une photo de lui avant de le déposer sur un bûcher pour le brûler. »
« Nous sommes bien trop nombreux pour être traités dignement, » cherchait à raisonner mon frère. Il y aura eu des centaines de nouveau-nés à naître avant la fin de la journée pour remplacer ce mort.
Nous nous rendîmes au bureau du comité des bénévoles, rapportèrent l’incident du corps mort, firent un petit don et partirent.
Mon esprit passa à un autre sujet, de la mort à la vie. La première chose que j’allais faire, à mon retour à Vancouver, ce serait de renoncer à ma citoyenneté indienne. À moins de couper ce cordon ombilical, je continuerais à me sentir partagé. L’écartèlement entre deux pays continuerait de m’affliger.
Avant même que je ne sois de retour ce soir-là, Rabindra Nath Tagore m’avait offert son soutien. « Là où les anciennes traces sont perdues, c’est un nouveau pays qui se révèle dans sa splendeur », Geetanjali.
L’agente du bureau de la citoyenneté prit une grande inspiration et me demanda une nouvelle fois : « En quoi puis-je vous aider? »
Je suis venu faire une demande de citoyenneté, lui répondis-je.
Voici le formulaire. Veuillez le remplir, ce que je fis aussitôt, assis en face d’elle.
Elle le passa en revue et me demanda de payer les frais de demande et de lui fournir une photographie récente.
À présent, levez-vous, tournez-vous vers le drapeau canadien et répétez après moi…
Puis elle inséra le formulaire dans une enveloppe, apposa sur celle-ci une étiquette rouge imprimée du mot URGENT et déposa l’enveloppe dans le panier du courrier sortant.
Félicitations, M. Kurl. Vous recevrez votre certificat de citoyenneté par la poste d’ici un mois, ajouta-t-elle en me serrant la main.
Je la remerciai et sortis.
Exactement trois semaines plus tard, je reçus une enveloppe portant l’avis URGENT. Je l’ouvris et y trouvai mon certificat de citoyenneté, ainsi qu’une carte plastifiée de citoyenneté de format poche.
Sautant de joie, je me rendis au bureau de la citoyenneté afin de baiser la main magique de la préposée, mais elle n’était plus là, elle était partie, elle avait pris sa retraite. Le jour où je l’avais vue était son dernier jour de travail.
Quand j’y repense, ma décision de m’établir au Canada et d’y élever ma famille a été l’une des plus heureuses et des plus audacieuses que j’ai jamais prises. Le Canada est véritablement une démocratie. Il traduit cette démocratie par des actions et la fait vivre au quotidien. Je le sais, je le ressens. Croyez-moi.
en anglais seulement
Suresh Kurl – Canada's Top 25 Immigrants 2012
Articles by Suresh Kurl on the Huffington Post
en anglais seulement
Multiculturalism and Immigration in Canada: An Introductory Reader
Directions V.2 No.4 2008 | Diaspora Communities in Canada: Identity, Belonging and Citizenship
Canadian Social Trends, Autumn 2000: 100 Years of Immigration in Canada
About Canada: Immigration by Nupur Gogia and Bonnie Slade