Par Michael Adams
Quand j'étais enfant, dans les années 50, j'étais persuadé que le « God Save the Queen » était notre hymne national, que le Red Ensign canadien [drapeau rouge de la marine marchande britannique affichant l'Union Jack dans le coin supérieur gauche] était notre drapeau national, et que cela avait toujours été le cas. En réalité, ce pavillon, pourtant utilisé depuis longtemps, n'est devenu officiellement le drapeau canadien qu'en 1945. Il ne conservera toutefois ce statut que pendant vingt ans, le drapeau à la feuille d'érable ayant été adopté en 1965, le lendemain de la Saint-Valentin.
Quant à l'hymne national, c'était une question d'actualité. Dans le Canada anglais, le « God Save the Queen » était très répandu. Au Québec, où les gens étaient moins enclins à célébrer Sa Majesté en la chantant, le Ô Canada était l'hymne par défaut. Quant au chant The Maple Leaf Forever, autre prétendant, il s'était répandu dans les filiales de la Légion, mais ses paroles « In days of yore, from Britain’s shore, Wolfe the dauntless hero came and planted firm Britannia’s flag on Canada’s fair domain [Jadis, l'intrépide héro du nom de Wolfe s'en vint de Grande-Bretagne et planta fermement le drapeau britannique sur le beau pays qu'est le Canada] » n'étaient pas bien reçues dans la Belle Province.
Au Thistletown Collegiate Institute de Rexdale, la première école secondaire que j'ai fréquentée, on diffusait chaque matin le God Save the Queen à l'aide du système interphone de l'école. Alors que j'étais en 10e année (de 1961 à 1962) et en quelque sorte inspiré par l'esprit nationaliste et progressiste qui émergeait à l'époque, je demandai un rendez-vous avec notre directeur d'école George Hull afin de discuter de cette pratique. Durant la rencontre, je demandai poliment à M. Hull pourquoi figurait, dans la routine quotidienne adoptée à l'école pour démarrer la journée, la diffusion de l'hymne d'un pays étranger. « Michael, c'est parce que la reine d'Angleterre est aussi la reine du Canada », répondit-il sans sourciller.
Lorsque je lui demandai s'il pouvait envisager de remplacer le « God Save the Queen » par le Ô Canada, il me fit, en guise de réponse, une magnifique leçon sur ce que signifie être Canadien. Puis il me demanda de lui donner quelques jours pour réfléchir à ma requête. La semaine suivante, après avoir consulté son équipe de jeunes enseignants, il me convoqua à son bureau et, à mon grand plaisir, proposa que l'on alterne la diffusion du « God Save the Queen » et celle du Ô Canada. J'en versai presque des larmes de joie et de fierté. On diffusa donc chaque hymne tous les deux jours jusqu'à ce que j'obtienne mon diplôme.
Je ne peux l'affirmer avec certitude, mais je présume que ce système resta en place jusqu'en 1967, la date à laquelle le Ô Canada fut adopté à titre d'hymne officiel canadien. Ce changement survint après la déclaration du premier ministre Lester B. Pearson, dans laquelle il affirmait que le Canada avait besoin de se choisir un hymne officiel (et non pas deux hymnes différents, choisis selon l'occasion et en fonction de la tendance politique et des liens ancestraux du groupe qui se réunissait). Je ne sais pas ce que l'on diffuse à présent à mon ancienne école; c'est probablement la plus récente version bilingue du Ô Canada.
En dépit de mon enthousiasme d'adolescent à amorcer des changements symboliques urgents, je n'avais aucune proposition quant à ce qui devait figurer en haut du mât de l'école. (Je suppose que la feuille de marijuana n'a pas encore entré dans ma conscience de banlieusard naïf.) Le Thistletown continuaitd'y faire flotter le Red Ensign et le fit probablement jusqu'à ce que le drapeau à la feuille d'érable soit officiellement reconnu; mais quand cela se produisit, je fréquentais déjà l'université.
Au fil du temps, le Ô Canada et le drapeau à la feuille d'érable sont devenus chers aux Canadiens. Lorsqu'on leur demande de classer par ordre d'importance les divers symboles du pays, les trois quarts considèrent le drapeau comme étant très important (73 pour cent), et les deux tiers (66 pour cent), le Ô Canada, selon le sondage Focus Canda 2012 mené par The Environics Institute. Seuls la Charte des droits et des libertés (considérée très importante par 78 pour cent des répondants) et notre système public de soins de santé (un symbole national très important pour 85 pour cent d'entre eux) se classent plus haut que le drapeau à la feuille d'érable. (Bien que le God Save the Queen demeure l'hymne royal du Canada, notre monarque est loin d'être la première idée qui vient à l'esprit des Canadiens lorsqu'ils pensent à leur pays : seuls 16 pour cent d'entre eux considèrent la reine comme un symbole canadien très important.)
Bien que notre drapeau et notre hymne soient aujourd'hui populaires, le changement n'a pas toujours fait l'unanimité. Sous l'ancien premier ministre John Diefenbaker, les progressistes-conservateurs n'approuvaient pas l'idée d'un drapeau canadien distinct qui excluait les couleurs de la Grande-Bretagne (qui figuraient sur les drapeaux des autres pays du Commonwealth). Au moins une des personnes qui travaillaient à la conception du drapeau reçut des menaces de mort. Mais le cours de l'histoire changea, contraire au souhait des traditionalistes et impérialistes passionnés du Red Ensign qui allaient devoir attendre l’élection de Stephen Harper pour regagner un peu de terrain : aujourd'hui, le gouvernement Harper, favorablement disposé enverslepassécolonialdu Canada, fait flotter ce dernier sur la Crête de Vimy, site d'une bataille de la Première Guerre mondiale et le présumé creuset duquel le Canada allait émerger en tant que nation.
Malgré les ardeurs traditionalistes,le réexamen du drapeau et de l'hymne ne constitue pas une priorité pour aucun des divers partis politiques. La seule question qui se soit manifestée ces dernières années est celle visant à restaurer la neutralité de la version anglaise originale du Ô Canada « true patriot love, in all of us command » au lieu du « in all thy sons command » [texte original « nous tous », ensuite changé en « nos fils »]. Chose étonnante, en dépit du soutien initial exprimé par des personnalités aussi diverses que Margaret Atwood ou Kim Campbell, ancienne première ministre, et par le gouvernement fédéral, ce changement a été mis en attente, des sondages ayant montré que les trois quarts de la population souhaitaient qu'on laisse l'hymne tel qu'il était.
De nombreux Canadiens ne voient pas d'inconvénient à ce que nous conservions les symboles dont nous avons hérité, et sont très confortables avec ses symboles, même si beaucoup les considèrent comme des anachronismes. D'autres souhaitent que ces symboles soient refaçonnés de sorte à refléter les réalités de notre époque et nos espoirs pour l'avenir. La tension entre tradition et changement est une caractéristique constante de notre vie sociale; en tant que Canadien, j'ai personnellement été très marqué par la réaction de mon directeur d'école par rapport à l'émergence de cette tension dans le milieu relevant de sa responsabilité : une consultation respectueuse et, en guise de solution immédiate, le recours à un compromis (la façon de faire canadienne).
Visionez un court clip de Michael Adams, enregistré lors d'une récente table ronde de la FCRR à Toronto.
Focus Canada 2012 - Environics Institute (en anglais)
Unlikely Utopia by Michael Adams - Penguin Random House Canada (en anglais)
Patrimoine canadien - Le drapeau canadienLe drapeau canadien
Gouvernement du Canada - Célébrez notre drapeau – Participez aux célébrations!
Look Back: The Canadian Flag (en anglais)
Les Politiques de l'identité: Nationalisme, patriotisme et multiculturalisme