L'histoire méconnue de Viola Desmond : la ségrégation raciale au Canada
Par Mandy Nyarko
L’expérience de Viola Desmond a inspiré le mouvement des droits civils au Canada et a conduit à l'abolition des lois ségrégationnistes en Nouvelle-Écosse en 1954. Or ce morceau de l’histoire canadienne est souvent négligé ou oublié.
Viola Desmond est l'exemple personnifié de la bravoure et d'une profonde détermination à défendre ses droits en tant qu'être humain; son histoire est une histoire de courage et d'audace face au racisme et à l'injustice.
Née à Halifax, en Nouvelle-Écosse, le 6 juillet 1914, Viola Desmond (née Davis) était une entrepreneure noire accomplie qui avait suivi une formation d'esthéticienne à la Field Beauty Culture School de Montréal, l'une des rares écoles canadiennes de l'époque à accepter des candidats noirs. Auparavant, elle avait été enseignante dans une école ségréguée. Avec son mari, Jack Desmond, le couple établit un salon de beauté doublé d'un salon de coiffure pour hommes qui desservait la communauté noire d'Halifax.
Les événements dont nous allons parler débutèrent le soir du 8 novembre 1946, soit près de 10 ans avant l'infâme épisode du boycott des autobus de Montgomery en 1955, quand Rosa Parks refusa d'aller s'asseoir à l'arrière du bus dans lequel elle était montée. Tandis qu'elle se rendait à Sydney, en Nouvelle-Écosse, pour un rendez-vous d'affaires, Madame Desmond eut une panne de voiture à New Glasgow. Informée du fait que les réparations prendraient quelques heures, elle décida, pour passer le temps, d'aller voir un film au cinéma Roseland. Au guichet, elle demanda une place au parterre, mais le billet qu'on lui remit était celui d'une place au balcon. Tandis qu'elle s'avançait vers un siège du parterre, l'une des employées du cinéma l'accosta, lui disant qu'elle devait monter au balcon car elle n'avait pas le billet voulu.
Croyant qu'il y avait erreur, Mme Desmond retourna au guichet où on lui fit comprendre que, selon la politique du cinéma, on n'y vendait pas de places au parterre pour les spectateurs noirs. Bien qu'à l'époque, la ségrégation raciale n'ait pas été enchâssée dans les lois canadiennes, elle n'en existait pas moins de manière non officielle, selon un ensemble de règles non écrites qui voulaient que chacun connaisse sa « place » dans la société. Le cinéma Roseland en était le parfait exemple; les gens savaient que les sièges du parterre étaient réservés aux Blancs, et ceux du balcon, aux Noirs.
Même après que Mme Desmond ait offert de payer la différence de coût d’un cent qu'il y avait entre celui d'une place au parterre et celui d'une place au balcon, on ne lui échangea pas son billet. Non disposée à accepter ce traitement discriminatoire, elle retourna au parterre. Comme elle refusait de libérer son siège, un agent de police la fit sortir du cinéma de force, la blessant au genou et à la hanche. Elle passa la nuit en prison et, le matin, fut accusée de tentative de fraude à l'égard du gouvernement provincial, conformément à la fausse déclaration selon laquelle elle aurait refusé de payer la différence requise d’un cent. En dépit de l'épreuve qu'elle venait de vivre, Mme Desmond passa toute la nuit assise dans sa cellule, en signe de défi et de contestation.
Viola n'était pas informée de ses droits et, au cours du procès, les enjeux concernant le racisme contre les Noirs n'ont jamais été abordés. Elle a été reconnue coupable et elle dut payer une amende de 26 $ (l'équivalent de 250 $ actuels), dont six dollars accordés au directeur du cinéma Roseland. On ne l'avisa pas de ses droits et, au cours du procès, les questions liées au racisme contre les Noirs ne furent jamais traitées. Avec les encouragements et l'appui de la Nova Scotia Association for the Advancement of Coloured People (NSAACP), Mme Desmond tenta de faire appel de sa condamnation auprès de la Cour suprême de la Nouvelle-Écosse. Mais ses efforts s'avérèrent futiles et la condamnation resta inscrite à son casier judiciaire. Elle finit par quitter le pays et mourut à New York en 1965.
Le 15 avril 2010, près de 65 ans après l'incident, le gouvernement de la Nouvelle-Écosse lui accorda une grâce posthume (la première qui n’ait jamais été accordée). On admit que les accusations portées contre elle et son arrestation avaient été injustes. Darrell Dexter, premier ministre de Nouvelle-Écosse, présenta également des excuses à ses descendants, et dit : « Ceci est une journée historique pour la province de la Nouvelle-Écosse et l'occasion pour nous de finalement redresser les torts causés à Madame Desmond et à sa famille. C'est aussi pour nous l'occasion de reconnaître des actions d'une grande bravoure accomplies par une femme qui s'opposa au racisme et à la ségrégation. »
Wanda Robson, sœur de Madame Desmond, fit la déclaration suivante : « Ce qui est arrivé à ma sœur fait partie de notre histoire et doit rester intact. Nous devons en tirer des leçons afin de ne pas la répéter. Si mes parents étaient ici aujourd'hui, cela les réconforterait, de voir que Viola est reconnue comme une véritable héroïne canadienne.»
La province de la Nouvelle-Écosse honorera Viola la première journée du patrimoine de la Nouvelle-Écosse le 16 février 2015. Le troisième lundi du mois de février, vise à reconnaître un événement historique différent chaque année.
Viola Desmond, Histoire des noirs au Canada, Historica Canada
Nova Scotia apologizes, pardons Canadian civil rights heroine, from the Digital Journal (en anglais)
Viola Desmond - Black Cultural Centre for Nova Scotia (en anglais)
Racial Segregation in Canadian Legal History: Viola Desmond's Challenge, Nova Scotia, 1946 (en anglais)
Late Viola Desmond Granted Apology, Free Pardon, novascotia.ca (en anglais)
Viola Desmond won’t be budged (en anglais)
Poster: Viola Desmond Remembering Courage (en anglais)
The Blacks in Canada: A History (en anglais)